Magic
Box
Un
Projet de Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli inspiré par « La
boîte à joujoux »
et
« Children’s corner » de Claude Debussy
En 1999, l’Opéra de Rouen, en
attendant notre production de «Mahagonny» de Kurt Weill, qui
avait été reporté à la saison suivante, nous a passé
commande d’une version légèrement «scénographiée» du
Babar de Poulenc.
Babar est né comme un jeu, une commande
avec peu de moyens, peu de temps. A cette époque, aucun de nous
deux, travaillant plutôt dans le secteur du théâtre ou de la
musique contemporaine, n’aurait imaginé de monter un jour
un spectacle pour enfants. C’est en pensant à ce qui aurait
pu plaire à nos filles qui étaient petites à l’époque,
que nous nous sommes décidés en les ayant toujours comme
exemples, références, mais surtout, juges impitoyables.
Babar a été créé en janvier 2000, par
contre, Mahagonny ne s’est jamais fait, à sa place, en
2001, nous avons monté « L’enfant et les
sortilèges » de Maurice Ravel.
Babar tourne depuis quatre saisons, et
tournera encore, nous en avons donné plus de quatre-vingt
représentations dans toute l’Europe, il a été traduit
dans plusieurs langues, pour plus de trente mille spectateurs.
Nous sommes les premiers surpris de l’ampleur qu’a pris
cette aventure. Mais souvent, plus tard, lors d’autres mise
en scène pour adultes, nous avons compris qu’une des
raisons de son succès a été sa légèreté et l’économie
des moyens mis en œuvre et nous avons regretté le sentiment
de liberté et d’inconscience avec lequel nous nous sommes
lancés dans cette création.
Très souvent dans les lieux où nous
l’avons joué, on nous a demandé si nous avions
d’autres projets dans ce type de répertoire, mais en toute
honnêteté, nous n’avions pas le désir de nous
spécialiser dans le théâtre jeune public et nous avons laissé
passer les années sans trouver un sujet qui nous motive, digne
descendant, au moins dans notre affection, du Babar de Poulenc.
Beaucoup de nos connaissances adultes,
provenant de milieux de la musique ou du théâtre contemporains,
normalement confrontés à un tout autre type d’univers,
nous avouaient, après avoir vu Babar, avec un léger sentiment
coupable de régression gourmande, s’être offert quarante
minutes de pur bonheur, dense de poésie primordiale,
intemporelle.
Aujourd’hui, nos filles ont grandi,
nous ne devons plus lire de livre ou raconter une histoire pour
les endormir, elles ont tendance à préférer les films pour
adolescents aux dessins animés et si nous insistons pour aller
voir Shreck ou Toy Story tous ensemble, nous nous rendons compte
que plus que certainement, c’est surtout à nous que cela
fait plaisir. D’ailleurs, parfois, à voir ces prouesses de
la technologie d’animation, si on observe le nombre de clins
d’œils faits aux adultes, la quantité de références
au cinéma classique, on peut se demander à qui il
s’adresse le plus sûrement…
Voilà que tout d’un coup, au moment
où nous nous rendons compte que pour elles l’intérêt pour
ces choses est dépassé, nous avons soudain réalisé ne pas
pouvoir attendre d’avoir des petits enfants pour nous
confronter à nouveau à ce monde qui a créé le lien avec nos
propres racines.
En dernier lieu, le déclic nous est venu
du tout dernier livre d’Umberto Eco « La misteriosa
fiamma della Regina Loana ».Cet ouvrage présente un
personnage d’inspiration clairement autobiographique, qui,
ayant totalement perdu la mémoire, essaye de la retrouver en
s’enfermant dans le grenier de la maison familiale, où il
découvre parfaitement rangés par ses ancêtres ses coffres à
livres, ses cahiers, disques, magazines de son enfance. Il plonge
en immersion totale dans les origines de sa propre culture, dans
un voyage qui balaye de ses premières lectures à la formation
totale de sa personnalité : Flash Gordon, Sandokan, Buffalo
Bill, Pinocchio, Jules Verne, Joséphine Baker, Bing Crosby,
Melville, Dante, Shakespeare…
Parfois, surgissent du noir total de sa
mémoire des chocs émotifs liés à l’image, au cinéma, à
la musique. Il récupère physiquement la sensation de ses
premiers coups de cœur. Il a besoin de retrouver le fil de
ses lectures enfantines pour reconstruire l’écheveau de
l’homme qu’il est devenu.
Nous avons décidé de refaire un
spectacle pour enfants, pour enfants mais aussi pour les adultes
auxquels la propre enfance n’apparaît pas comme une
Atlantide submergée des sables légendaires, mais au contraire,
le terreau de toute floraison plus tardive.
Claude Debussy a écrit le ballet
« La boîte à joujoux » pour sa fille Chouchou, peu
de temps avant sa propre mort. Il l’a composé avec toute la
candeur et le sens de l’humour dont il était capable, sans
jamais rien sacrifier à l’intelligence de son écriture, à
l’aspect prospectif et expérimental, de plus en plus
radical, de sa musique.
Encore une fois, peut-être, le fait de
penser s’adresser à des enfants permet d’abattre une
série de contraintes de type formel, et Debussy nous fait
entendre une musique qui donne l’impression d’être
perpétuellement improvisée par sa fluidité, par le rapport
dialectique qu’elle établit avec la narration, et à la
fois se nourrit d’un pouvoir visionnaire qui fait encore
aujourd’hui, de lui, un compositeur phare de notre temps.
De cette pièce, Debussy disait
qu’il se plaisait à « arracher des confidences aux
vieilles poupées » ou que « l’âme des poupées
est plus mystérieuse que Maeterlinck, lui-même, ne le suppose,
et supporte mal le boniment dont s’accommodent tant
d’âmes humaines. » On peut voir ici à quelle hauteur
d’exigence Debussy plaçait cette œuvre qui par
ailleurs a été parfois perçue seulement comme un
divertissement plaisant.
« La boîte à joujoux » a
été écrite à l’origine pour piano, puis orchestrée et
l’orchestration en a été terminée par André Caplet
après la mort du compositeur.
Ceci nous permet d’appliquer à
nouveau la formule du spectacle à deux têtes: une forme pour
narrateur et piano, pour les espaces petits, les lieux où
l’on souhaite la partition originale ou simplement un
rapport d’intimité, l’autre forme, pour narrateur et
orchestre, où on gagne en expressivité, couleur, brillance ce
que l’on perd en proximité et concentration.
C’est une histoire, très simple,
l’essence même du conte pour les enfants : Que se
passe-t-il dans un coffre à jouets pendant que les enfants
dorment ? (Tiens tiens, le scénario de Toy Story n’est
pas si original…)
Est-ce que les poupées ont des relations
entre elles, est-ce qu’elles aiment, est-ce qu’elles
font la guerre ? Est-ce qu’elles vieillissent ?
Ces questions, sur lesquelles
s’étaient penchés beaucoup d’écrivains avant lui
(Kleist, Beaudelaire, Rilke…) sont soulevées avec
délicatesse par l’auteur de l’argument André Hellé
et Debussy, et avec suffisamment de subtilité pour qu’un
auditeur adulte y voie le reflet d’une certaine vie
contemporaine. Pour le comprendre, il suffit de lire le court
texte d’introduction :
Cette
histoire s’est passée dans une boîte à joujoux.
Les
boîtes à joujoux sont en effet des sortes de villes dans les
quelles les jouets vivent comme des personnes.
Ou
bien les villes ne sont peut-être que des boîtes à joujoux
dans lesquelles les personnes vivent comme
des jouets.
On ne sait pas très bien ce que Debussy
entrevoyait comme réalisation chorégraphique de cette
œuvre, mais ce que l’on sait, c’est par exemple
qu’il disait ceci : «Des marionnettes seules auront
l’intelligence du texte et l’expression de la musique»
ou «…pour laisser aux personnages leurs gestes anguleux de
personnages de carton, leur apparence burlesque, leur caractère,
enfin, sans quoi la pièce n’a plus de raison
d’être !...»
Une forme d’introduction à
« La boîte à joujoux » s’avère toutefois
nécessaire. Une introduction qui permette d’inscrire la
charmante histoire des jouets dans un contexte très actuel,
proche, vécu par chacun d’entre nous.
C’est pour cela que nous avons
écrit un texte qui raconte de façon personnelle et ironique la
relation que des parents peuvent établir avec les jouets de
leurs enfants, ainsi qu’avec leurs propres souvenirs
d’enfance. Un autre pièce de Claude Debussy,
« Children’s corner », sera donnée en
contrepoint à ce texte : « Children’s
corner ». Il s’agit d’une série de six courtes
pièces pour piano, qui existe également dans une version
orchestrée par André Caplet.
Une mère, comme chaque année, décide
de faire de l’ordre dans la chambre de ses enfants, et
demande à ses deux filles de choisir quels jouets donner ou
jeter.
Devant l’incapacité
décisionnelle des enfants, elle attend leur départ pour un
voyage scolaire et effectue un choix drastique et rageur entre
les tonnes de jouets énormes, bruyants, inutiles.
Quand elle s’apprête à déposer
ces jouets dans le grenier de ses parents, elle retrouve par
miracle sa propre boîte à jouets, perdue lorsqu’elle avait
huit ans, cherchée alors désespérément.
A ce moment les rôles s’inversent.
Elle a toujours suspecté sa propre mère d’avoir jeté sa
boîte et ne l’a jamais crue lorsque celle-ci affirmait ne
pas l’avoir jetée. Elle savait déjà alors que
lorsqu’il s’agit de jouets, les parents sont toujours
un peu menteurs.
Elle se souvient avec émotion des
moments de bonheur passés en compagnie du Polichinelle, du
Soldat et de la Danseuse, toute son enfance refait surface.
Ce sont ces jouets, retrouvés dans la
boîte, qui vont progressivement prendre vie sous les yeux du
public, s’émanciper et vivre la véritable histoire de
« La boîte à joujoux ».
Quelle conclusion tirera cette maman de
son retour dans le grenier familial ?
Et quelle sera la fin des jouets ?
A partir de cette histoire personnelle,
nous effectuons un glissement progressif vers « La boîte
à joujoux », construisant ainsi une forme d’aller et
retour entre réalité et fiction dans sa forme la plus pure.
Pour cette histoire à tiroirs, nous
souhaitons inventer un univers pictural mouvant, une sorte
d’écrin imaginaire, né du concret évoluant vers le
fantasmé, dans et autour duquel la protagoniste circulera comme
une part active et réceptive.
L’évolution naturelle de notre
recherche, profitant de l’expérience acquise grâce au
travail fait pendant deux ans sur « Peer Gynt » -
créé en novembre 2003 - , nous permettra d’ajouter à la
technique d’animation de dessins mise au point pour Babar,
un nouvel outil: la vidéo captée, transformée et projetée en
direct.
La scénographie et le réceptacle de ces
projections sera la boite elle-même. La boîte à jouets, le
coin des enfants, une boite magique aux dimensions et à la
perspective éclatées. Elle permettra à la fois la projection
en trois dimensions, l’action théâtrale en transparence,
un jeu d’ombres chinoises… notre Magic Box, somme
toute.
Il n’y aura pas de danseurs,
mais les jouets, les poupées circuleront librement de
l’univers concret du statut d’accessoire de théâtre
à celui beaucoup plus virtuel de projection dans un univers
flou, où les limites entre le vrai et le faux, le grand et le
petit, le réel et la fiction sont troublées. Dans
l’intervalle laissé entre ces transformations, ils gagnent
en dimension, ils gagnent en mobilité, ils s’animent, ils
acquièrent une voix, une identité évolutive…
Les cameras vont filmer la protagoniste
sur scène, la transformer, un croisement moderne entre Alice qui
traverse le miroir et Mary Poppins qui rentre dans les dessins de
craie sur les trottoirs, lui permettre d’interagir avec les
autres jouets-personnages de l’histoire.
De dessins, photos mis en mouvement, nous
ferons des partenaires à part entière, et si nous en avons
été les créateurs, nous sommes prêts à leur reconnaître une
vie autonome, la grâce d’un objet inanimé est parfois
telle qu’on ne peut que lui prêter une âme…
Avant que ça ne
commence :
Conception,
écriture, espace:
Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli
Dessins :
Marianne Pousseur
Création
technologique et animation :
Enrico Bagnoli
Coproducteurs :
Khroma
Théâtre de la Place - Liège
Arcadi - France
A
l’intérieur du plateau :
Mise en scène
et interprétation :
Marianne Pousseur
Au piano :
Johan Bossers
Orchestre Philarmonique de Liège
De l’autre
côté:
Mise en
scène, texte, lumière et
dramaturgie
visuelle:
Enrico Bagnoli
Tout renseignement complémentaire sur
les spectacles précédents, dossiers de presse, biographies
des interprètes peuvent être trouvés à l’adresse
suivante:
E-Mail :
info@khroma.eu