Deux reines et un
enfant pour un dialogue étrange et farfelu, où le chant seul semble permettre
de franchir toutes les barrières.
Passez donc de l' autre côté du miroir
Après sa création à
Marseille et un passage au Festival au jeune théâtre, le projet de Marianne
Pousseur s' installe pour trois semaines à l'Atelier.
De
Lewis Carroll à Borges, le passage « de l'autre côté du miroir» a toujours
fasciné artistes et intellectuels. Dans le même temps, cet improbable voyage
dans un univers parallèle fait rêver depuis des siècles des générations d'enfants
s'échappant dans l'imaginaire. Avec le « Dialogue entre l'huître et l'autruche
", le discours intellectuel sur le reflet' croise l'émerveillement
enfantin dans un , spectacle féerique et touchant, le
côté merveilleux 'l'emportant nettement sur la partie plus « réfléchie» du
spectacle.
Ce
projet de Marianne Pousseur,. Sous-titré «Comédie-reflet en un acte et sept réflexions d'après Lewis
Carroll », donne essentiellement la parole à ces habitants du miroir, forcés
de réfléchir sans cesse une réalité qui n'est pas la leur. Au fil du temps, ces
derniers ont de plus en plus de mal à accepter cette condition d'esclavage et
souhaitent vivre leur propre vie. Ce qui, bien entendu, ne va pas sans mal.
S'ils peuvent s'offrir quelques périodes de repos, une petite musique les rappelle
régulièrement à l'ordre, les obligeant à reprendre leurs rôles. C'est dans
cette ambiance de revendications et de menaces de grève larvées que le petit
Kevin se retrouve d'un seul coup de l'autre côté du miroir. Rêve ou réalité,
féerie ou tragédie (un enfant a disparu et Kevin évoque une possible noyade),
nul ne le sait.
Dans
un décor de guingois évoquant un vaste échiquier aux cases décalées, trois
personnages jouent leur rôle. Les deux femmes s'activent tandis que l'homme
trotte à perdre haleine dans une gigantesque roue. Image superbe. Au premier
plan, un enfant observe l'action. Les femmes se parlent mais aucun son ne sort
de leur bouche. Les habitants du miroir reflètent les images, pas les sons. Au
bout d'un moment, c'est la pause. Le trio se débarrasse de ses oripeaux pesants
évoquant le XIX- siècle anglais, et retrouve pour quelques minutes sa liberté.
C'est durant ces espèces de temps libre
que le jeune Kevin pourra faire connaissance et dialoguer avec ces trois
étranges personnages : la reine rouge, la reine blanche et sa majesté le
professeur. Si les deux femmes se montrent tour à tour douces, drôles ou
étranges, sa majesté le professeur est manifestement l'intellectuel de la
bande. Parlant sans cesse, théorisant sur la problématique du miroir et de la
vie propre de ses occupants, tenant de longs raisonnements emberlificotés, il
tente de faire valoir le point de vue des habitants du miroir prêts à faire
voler en éclats les bonnes vieilles habitudes de la réflexion. Drolatique à
certains moments, le personnage interprété par Ryszard
Turbiasz est peut-être le plus riche et paradoxalement
le moins maîtrisé du spectacle. Ses longs discours reflètent manifestement une
bonne part des préoccupations des auteurs mais ils sombrent trop souvent dans
la redite et le prévisible, empêchant le spectateur de se passionner pour les
questions pourtant intéressantes posées par son discours. Les réflexions toutes
simples et terriblement logiques de Kevin viennent heureusement remettre les
choses en place avec humour et les emportements du professeur deviennent au bout
d'un moment sujets d'amusement pour tout le monde.
Le décor superbe joue
ici un grand rôle, nous entraînant dès le départ dans un monde différent,
décalé. Les éclairages d'Enrico Bagnoli et la musique
envoûtante de Denis Pousseur y sont aussi pour beaucoup, de même que le
formidable travail sur le son de Dominique Baguette. Mais le plus fascinant
reste les dialogues entre Kevin et les deux reines préférant souvent
s'exprimer par le chant. Et là, Marianne Pousseur et Simonne
Moesen sont évidemment dans leur élément. On l'a,
déjà dit et répété, mais le travail vocal de ces deux-là est une pure
merveille. Qu'elles chantent en nous rejouant la danse des petits pains de
Chaplin ou qu'elles divaguent sur des comptines d'apparence anodine mais
pleines d'humour et de surprises, elles nous emmènent instantanément dans un
monde de rêve et de fantaisie. Les textes de Lewis Carroll et Alain Keseman, Kevin le plus souvent en anglais, sont de petites
merveilles qui mériteraient largement de nous être révélées. Marianne Pousseur
et Simonne Moesen, mêlant
leurs voix avec une grâce infinie, leur donnent vie et éclat de manière
incomparable. Et ces ritournelles inconnues continuent à vous trotter dans la
tête longtemps après la fin du spectacle. Une fin qu’on se gardera bien de
révéler pour préserver la surprise de très belles images clôturant ce voyage
étonnant et féerique dans un monde irréel.A l'Atelier
rue des Tanneurs, du 25 octobre au 17 novembre
Schoenberg
Pierrot Lunaire, première symphonie de chambre
(transcription Webern)
Marianne Pousseur (voix), Ensemble Musique oblique, Philippe Herreweghe
(direction)
S'il est un disque événement, c'est bien
celui-là. Et pas seulement parce qu'on y croise Philippe Herreweghe, l'homme
des grandes machines vocales baroques, sur les rivages ascétiques du Pierrot
Lunaire, l’œuvre qui, lors de sa création à Berlin, en 1912, donna le coup
d'envoi de la modernité. Comme il travaille à rendre plus expressif le stile espressivo de Monteverdi, Herreweghe s'est penché,
sans plus de complexe ni d'a priori, sur les mystères du Sprechgesang,
technique du « parlé/chanté» sur laquelle Schoenberg n'a pas laissé de
consignes bien claires. Sinon que la version du Pierrot qu'il dirigea lui-même
en disque en 1940 opte pour l'expressionnisme « cabaret allemand»,
Chanteuse (et membre du Collegium Vocale) Marianne Pousseur (fille du compositeur)
est aussi une actrice. Qui a monté l'an passé, dans une mise en scène de sa
sœur lsabelle, un Pierrot lunaire filmé par la
télévision belge et déjà dirigé par Herreweghe. Elle ne craint pas d'exposer sa
voix à tous les excès (cris, gémissements) retrouve quand il le faut une rhétorique
vocale ancienne (grelots. hoquets), pour une théâtralisation radicale du texte,
ni «parlé» ni « chanté» mais joué, corporellement. Le passage de la première
partie à la seconde marque, à la simple audition, le basculement dans l'excès,
dans l'hystérie. Des visions cauchemardesques sont délivrées à voix nue. Le
dénouement - détour fugitif par le chant : parfum d'enfance retrouvée - est
bouleversant.
1 CD
Harmonia Mundi, HMC 901390. A. R.
Marianne Pousseur, cruelle et douce, géniale.
Le miel de Marianne
C'est une commère en colère, c'est une rosière qui
se désespère, c'est une pute qui chahute, c'est un travesti inouï, c'est une
lionne qui rugit, c'est une amoureuse qui gémit, c'est la reine de la nuit,
c'est Pierrette que a perdu Pierrot - c'est Marianne Pousseur qui arrive à son
heure pour nous donner du sulfureux Pierrot Lunaire l’une des interprétations
les plus provoquantes, les plus insensées, les plus
habitées et tragiques que l'on ait entendues jusqu’ici.
C'est Lolita qui glousse et susurre, c'est la
« Madone des hystéries » qui chuinte et qui éructe. C'est une
descente aux enfers, c'est dans un cabaret moisi L’enfance qui s'enfuit. C'est,
on le sait, l'une des partitions-clés de la musique du XX'
siècle avec sa litanie des vingt et un poèmes d'Albert Giraud réclamant une
instrumentation d'une variété poussée à ses extrémités et une voix qui ne soit
ni celle d'une chanteuse, ni celle d'une diseuse, mais qui englobe les deux en
un « chanté-parlé » (Sprechgesang) dont on
n'a pas encore fini de s’étonner.
Marianne Pousseur est cruelle, abominable; elle
est douce a entendre, c'est du miel. Géniale. Avec
elle, L’ensemble Musique oblique que dirige avec beaucoup de véracité
stylistique le très baroqueux Herreweghe. Tout doucettement, ce dernier gagne
une place enviable dans l’art et la manière de faire vivre la musique de notre
siècle. 1 CD Harmonia - Mundi 90139Q - Enreg. Auditorium/Châtelet juillet 91- DDO 57'53-
Télérama N' 2199 - 4 mars 1992
Marianne Pousseur (voix), Kaat De Windt (Piano)
1 CD unclassical
Sub Rosa SR67 (distribue par Semantic)
Texte de présentation traduit en français
Enregistré en 1994 - Minutage : 45' DDD - Technique : 8 - Prix : 156 F
Remarquée pour son interprétation du
Pierrot Lunaire de Schoenberg (Harmonia Mundi) et des
oeuvres vocales de Scelsi (Sub
Rosa), Marianne Pousseur est l'une des rares chanteuses a interpréter Eisler
avec autant de talent que Gisela May (Wergo), Dagmar Krause (IslandAntilles, upprimé) et Kate Westbrook (Line). Dans la célèbre Ballade von der « Judenhure » Marie Sanders (« Ballade de la "putain à juifs" Marie Sanders »), elle crée en quelques minutes un théâtre aux
multiples expressions. Elle ouvre un monde désillusionné dans Hotelzimmer 1942, sonne le canon dans Panzerschlacht
ou dénonce la misère des temps de guerre dans « über
den Selbstmord ». Le
piano de Kaat De Windt est
lui aussi d'une expression souveraine. Pour l'interprète, « la musique d
'Eisler est plus qu 'un accompagnement du texte de
Brecht : elle le complète, le développe et parfois le contredit, dans un
extraordinaire dialogue dans lequel le poème est toujours exalté ». Puisse ce
disque contribuer à la reconnaissance d'un compositeur mésestimé.
Franck Mallet
Le Monde de la Musique 1995
_
Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli,
les concepteurs du spectacle, ont choisi d'aborder la délicieuse «fantaisie
lyrique » de Ravel à travers les yeux de l'Enfant, un enfant universel,
confronté à ses peurs nouvelles et ancestrales. Un enfant qui se heurte, pour
la première fois, à la vie dans toute sa complexité, avec ses contradictions
extrêmes, ses choix, ses sourdes et constantes zones d'ombre...
La haute silhouette de Maman, enceinte (un rival ?), se détache massive et inquiétante, comme
une ombre chinoise, porteuse certes d'une future vie, mais si angoissante en
cet état. Alors, l'Enfant boude, se révolte, s'empresse de désobéir pour mieux se faire
remarquer, se venge sur ses jouets, ses lectures, les animaux qu'il côtoie, les
végétaux... Mais, inévitablement, tout bascule, l'initiation est rude,
blessante, salvatrice enfin. L'Enfant émerge dans
toute son innocence d'origine... Un enfant, tout simplement!
Dans cette approche, le texte de Colette semble
renouer avec sa fraîcheur première. Le caractère ludique de l'opéra - celui qui
s'impose en général presque systématiquement -, disparaît au profit d'un monde
où la fantasmagorie a choisi de régner. L'Enfant
apparaît presque écrasé par cet écran géant qui décuple les personnages,
démultiplie les objets et les fait danser sans logique, en mélangeant le tout
avec extravagance.
Le jardin, pour sa part, montre un univers
confiné, circonscrit en fond de scène par de multiples cages et clapiers. La
conquête de la liberté sera pour l'Enfant semée d'embûches, mais les animaux,
comme les végétaux, possèdent eux-mêmes une âme pure et tout rentrera dans
l'ordre... jusqu'à la prochaine alerte.
…
Au pupitre, Oswald Sallaberger
a montré une réelle inspiration et une vraie hauteur de vues. Il aime
assurément la musique de Ravel, et il le prouve.
Le Monde de la Musique n.252 Mars 2001
LOHENGRIN,
de Salvatore Sciarrino - PARTS, de Hanspeter Kyburz. Par Marianne
Pousseur (voix), Patrick Blauwart (comédien), Axe 21,
Ensemble interContemporain, Jonathan Nott ,(direction),
Jean-ClaudeBerutti (mise en espace), Rudy Sabounghi (costumes). Cité de la musique, le 22 mai 2001
On peut, voir dans le
« Lohengrin »(1982-1984) de_Salvatore Sciarrino (né en 1947) plusieurs « spectres » de ce que,
par commodité, on appelle le « théâtre musical » : une sorte de condensé
essentiel, un substrat du Lohengrin, de Richard Wagner, dont ne
subsisterait qu'une longue plainte en harmoniques, couleur «bleu acier» (comme
disait Thomas Mann du prélude de l’opéra de Wagner) dans le dernier tiers
de la partition (40 minutes environ), faisant sonner les intervalles du Big Ben londonien (car il est dit par Sciarrino
lui-meme qu'Elsa est assourdie par le son des
cloches) ; un monodrame dans le souvenir très décalé des femmes proches de la
crise de nerfs d'Erwartung, d'Arnold
Schoenberg, ou de La Voix humaine, de Francis Poulenc ,d' après
Jean Cocteau, une étude bruitiste dans l'esprit d'un théâtre musical guttural,
quelque part entre Peter Maxwell Davis (Huit chants pour un roi fou), Gyorgy Ligeti (Aventures et Nouvelles Aventures)
et Dieter Schnebel (Maulwerke).
Mais le Lohengrin du
compositeur italien est autre chose, une oeuvre singulière, isolée, dont la
bizarrerie absolue est préservée, et magnifiée par Une poésie d'un raffinement extrême, au service d'une «action invisible» pour une vocaliste, chantant
rarement, mais récitant un texte polyphonique où se mêlent deux personnages,
Elsa et Lohengrin, sans compter l'inévitable cygne. Bruits de glotte, de
salivation, toux, cris d'oiseaux, tous amplifiés de près, comme l'ensemble
instrumental requis - lequel, à la Cité de la musique, dans la saisissante
mise en espace conçue par Jean-Claude Berutti, joue
derrière un écran de tulle.
Le metteur en scène a
placé la chanteuse daris un fauteuil roulant, d'où elle ne s'extrait que
quelques instants, pour se poster, tel un oiseau, sur le bord de l'estrade. La
chanteuse et comédienne belge est une Ophélie
hallucinée, prostrée comme à l'intérieur de ses cavités buccales et
résonnantes. Elle «tient,» de bout en bout ce récit dont bien des aspects
grotesques, au sens vrai du terme, pourraient basculer dans le ridicule s’ils
n'étaient. vécus avec cette intensité.
POÉSIE ETRANGE ET LUNAIRE
Quand Vivianne
de Muynck, sous la direction scénique, d'Ingrid von Wantoch Rekowski,
incarnait cette partie comme le ferait une narratrice, perversement distante
(à la manière des «officiantes » du film Salo, de Pier Paolo Pasolini), au festival Ars Musica
de Bruxelles (Le Monde du 24 mars), Marianne Pousseur lui imprime une
poésie étrange et lunaire, parfaitement accordée au beau texte programmatique
que Salvatore Sciarrino a écrit pour l’occasion et
que lisait, en prologue, le comédien Patrick Blauwart.
-Quelques lumières seulement, mais justes, une mise en espace minimale, mais
exacte (un contexte hospitalier), une direction précise et poétique de la
part du nouveau directeur de l'Ensemble InterContemporain,
Jonathan Nott, et le tour est bellement joué.
(…)
Renaud Machart
Christian MERLIN
A38 ANS, Brice Pauset est l'un des invités du
Festival d'automne 2003 : la création de sa Symphonie II La Liseuse en était
l'un des événements, vendredi à la Cité de la musique de Paris. Cela partait
d'une bonne intention de mettre en perspective cette nouvelle pièce avec une
oeuvre de Couperin, tant il est vrai que Pauset, qui
est aussi claveciniste, est l'un de ceux qui posent avec le plus d'acuité la
question de la manière dont un musicien d'aujourd'hui filtre les grands modèles du passé sans tomber dans
le « néo ». L'idée fit long feu
: peut-être parce que la symphonie se prête moins à ce regard croisé, mais
surtout parce que l'interprétation par Gaele le Roi
et Monique Zanetti des Leçons de ténèbres du mercredi
saint, avec Christophe Rousset à l'orgue et le magnifique Atsusi
Saka"i à la viole de gambe fut d'un tel ennui et d'un tel manque
d'articulation que l'on n'y reconnaissait pas son Couperin.
Du coup,
la qualité de La Liseuse n'en était que plus saillante, rehaussée par la
direction magistrale de Jonathan Nott à la tête d'un
Ensemble intercontemporain réparti aux quatre cotés
de la salle. A l'heure où la musique contemporaine s'oriente volontiers vers le
décoratif, Pauset cultive une forme d'austérité que
l'on ne peut s'empêcher de trouver salutaire. Le tableau de Vermeer La Jeune
Femme en bleu lui a inspiré trois quarts d'heure d'une musique d'intériorité,
qui évoque la recherche solitaire du savoir et du sens. Sur des textes de
l'Antiquité et de la Renaissance, deux voix se confrontent puis se mêlent :
l'une, parlée (Caroline Chaniolleau), dit les mots de
manière intelligible, l'autre, chantée (Marianne Pousseur), disloque le texte.
Mais c'est bien cette dernière qui l’emporte, comme si le son pur était plus
porteur de signification que les mots. passages
instrumentaux et vocaux alternent en une architecture solide et dense, qui va
de la naissance d'un rai de lumière à la raréfaction d'un matériau qui
s'effondre sur lui-même, les aspérités de l'instrumentation permettant
d'échapper au travers du pur contemplatif qui guette nombre de musiques de notre temps.
(...)Dans la petite salle de la
Philharmonie, Jonathan Nott créait Dark Side, une
pièce pour soprano et ensemble de Georges Aperghis inspirée par le personnage
de Clytemnestre dans l'Orestie d'Eschyle. Derrière
son micro, Marianne Pousseur traduit l'état panique ou apaisé de la psyché de
cette héroïne amoureuse et meurtrière. L'influence d'Artaud, mais également des
films de Bergman et d'Antonioni construisant un personnage à partir de toutes
ses facettes, permet à Aperghis de refuser la linéarité narrative et
psychologique : une nouvelle réussite de théâtre mental, après son classique Hamlet-Machine. L'Ensemble Intercontemporain rend justice à cette écriture accidentée,
délimitant à partir d'accords multiples et de notes pivots un cadre
suffisamment inharmonique pour que l'auteur ne soit happé que par sa voix de
feu.(...) /Éric Dahan - Libération
23/03/2004
(...)Tout a commencé dans la petite salle
de la Philharmonie avec la création d'une commande de l'Ensemble Intercontemporain à Aperghis, Dark
Side, où le compositeur remonte aux sources
tragiques de son enfance dans les pas de Xenakis en puisant dans l'Orestie d'Eschyle. Moderne Clytemnestre, la douce Marianne
Pousseur, qui n'ignore rien de l'art de la récitation aperghienne,
passe de la petite fille murmurante à la harpie vociférante : elle parle,
fredonne, chante parfois et maudit le roi des rois avant de l'abattre en un
mélodrame de 25 minutes aux dimensions cosmiques.
(...) Jacques Doucelin
- Le Figaro 23/03/2004
Voyager,
briller, s'éteindre…
Un fascinant bouquet de
sensations, d'émotions que le « Peer Gynt » d'Ibsen et Grieg, créé par Marianne Pousseur et
Enrico Bagnoli à la Balsamine. La performance
technique (lire nos éditions du 13 novembre) se tisse à l'interprétation
des comédiens dans un jeu subtil, rarement illustratif et jamais gratuit. Nos
perceptions restent plus subjectives que jamais, à chacun d'enfourcher son
propre imaginaire. Le dispositif est simple : des parois translucides,
contournables, réceptacles d'images en ondes pulsées analysées, ou filmées et
retravaillées en direct sur la scène, des plaques métalliques servant d'écrans
percussifs aux « voix cachées », une cloison devenue lit… En scène
latérale, un pianiste construit la trame sonore sur de la musique de Grieg, de
la simple et émouvante mélodie nue à des cavalcades plus sonores (Johan Bossers).
Dans ce décor, le héros se
projette au-delà de lui-même dans une odyssée métaphysique en quête de son
« moi », des forêts norvégiennes avec trolls à l'Orient avec asiles
d'aliénés. Peer Gynt est
mythomane, jouisseur, cynique, lâche, fuyant tout ce qui l'entrave. Sa vie, il
la revisite par flashs dans l'interstice entre vie et mort (dramaturgie de Guy
Cassiers). La lumière le traverse, en grands oiseaux bleus, elle est peut-être
œil qui irise de son plexus ou désintégration d'un visage en négatif ou prison
de cordes ou éclipse d'un soleil ou matrice… Elle nimbe d'or les visages
féminins, elle lacère en noir et blanc. Lumière abstraite et source d'images et
de sens, tout à la fois. Pierre Renaux joue Peer Gynt, avec une certaine
nonchalance arrogante qui sied au héros. Il oscille du récit à l'incarnation.
Il bouge peu, le voyage est virtuel… Marianne Pousseur habite plusieurs figures
dont Solveig, la fiancée diaphane, mais aussi la mère
de Peer Gynt.
L'ironie, l'humour pointent
aussi
Un geste les signe l'une et
l'autre, et des projections brèves de bribes du texte aident à identifier. Elle
joue, elle chante (en norvégien) en douce sensibilité, comme venant d'un autre
monde. Les voix cachées, non incarnées, sinon en souvenirs flous au-delà des
parois, en fin de vie, prennent en chants, en mots, en bruitages diffus le
monde sonore de la légende : une présence multiple mystérieuse de Kobe Baeyens, Thaïs Scholiers et Noémie Schellens. L'ironie,
l'humour pointent aussi dans ce spectacle flottant entre rêve et cauchemar. Et
l'on gardera en mémoire ce seul moment superbe où les interprètes se touchent
et dialoguent : la mort de la mère que Peer Gynt entraîne dans une course en traîneau vers un château…
comme on raconte un conte à un enfant au chevet du lit. Les amoureux de la
musique de Grieg y retrouveront des mélodies, de brefs passages orchestraux,
les lecteurs d'Ibsen auront l'envie de retourner au texte intégral, et tel
quel, ce « Peer Gynt »
est une petite merveille qui après sa création à la Balsamine voyagera beaucoup
hors de nos frontières. Ne le ratez pas.·
Théâtre de la Balsamine
(Bruxelles), jusqu'au 22 novembre, tél. 02/735.64.68.
Au Singel (Anvers) les 19 et 20 décembre.
Téléphone : 03/248.28.28.
MICHÈLE FRICHE
ILE-DE-FRANCE De Peer Gynt, tout le monde connaît les morceaux réunis par
Grieg dans deux suites d'orchestre à succès. Leur pouvoir évocateur n'a pas
échappé aux publicitaires qui, dans des spots télévisés, exploitent fréquemment
la pastorale d'Au matin pour la
bande-son d'un produit rafraîchissant ou la poursuite de Dans la halle du roi de la montagne pour accompagner une situation
haletante.
Cependant Peer Gynt est
avant tout une pièce de théâtre d'Ibsen, que l'on donne, parfois, intégralement
sur deux soirées et presque jamais avec les trente-deux numéros que compte la
partition originale de Grieg. De cette œuvre monumentale, la chanteuse Marianne
Pousseur et l'éclairagiste Enrico Bagnoli ont voulu
conserver l'impact foudroyant, tout en évacuant les contraintes d'une
représentation titanesque.
Créée à Bruxelles,
le 13 novembre 2003, la version
intimiste qu'ils ont imaginée entame une tournée en région parisienne sous
l'égide d'Ile-de-France Opéra et Ballet. Elle utilise, pendant une heure,
toutes les ressources du théâtre musical avec accessoires (plaques de tôle,
petites percussions), voix cachées (phonèmes ou chant a cappella) et vidéo (en
direct ou enregistrée). Généralement prolongé plus que réécrit, le texte
d'Ibsen sert de base à une série de variations sur la futilité, parfois dans
l'esprit de Dino Buzzati (les reproches faits à Peer Gynt sont sériés comme dans
la très brève nouvelle Les Journées
perdues).
Dos à l'écran,
d'où va surgir sa vie en flash-back, Peer Gynt expose d'entrée la dualité de son être. Coupé en deux
par un éclairage de biais, qui fouette son visage comme la bise du Grand Nord,
il apparaît symboliquement comme un personnage au profil net et au contenu
fuyant. Derrière lui se met en place un décor à tendance onirique avec des
battements d'ailes stylisés à la Folon. Après une ouverture orchestrale
enregistrée, le piano de Johan Bossers prend les
rênes de l'expression musicale. Les arrangements, d'une exceptionnelle efficacité
dramatique, agissent comme la mémoire de Peer Gynt et passent chaque morceau de Grieg à travers un
filtre. La vidéo plonge son regard inquisiteur dans le subconscient du héros, "garçon honnête, l'empereur des autres
bêtes". La poitrine de Solveig, la fiancée
abandonnée, est offerte dans une mare de blancheur laiteuse, tandis que la
fille du roi des trolls excite l'imagination par les battements lascifs de ses
cheveux de sorcière.
Simple et émouvant
à l'image de ce spectacle d'une rare profondeur expressive, Pierre Renaux incarne le Peer Gynt en vigueur sous toutes les latitudes avec une touche
de Grieg : il ne lui manque qu'une
moustache pour figurer le double du compositeur. Marianne Pousseur,
irrésistible, va très loin dans l'art de la métamorphose. Elle commence en
mirage (les femmes aimées se fondent dans la mère) et finit en miroir (de
l'homme qui voit la mort adoucie par les traits de sa promise délaissée).
Pierre Gervasoni
Peer Gynt,
d'après Henrik Ibsen et Edvard Grieg. Conception et
mise en scène :
Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli. Avec Pierre Renaux (Peer Gynt),
Marianne Pousseur (différents rôles), Kobe Baeyens,
Thaïs Scholiers et Noémie Schellens (voix cachées) et Johan Bossers
(piano)
Wagner « der fliegende Holländer », La
Monnaie, La Libre Belgique 08-12-2005
Un Vaisseau
d'anthologie
Nicolas Blanmont
Au-delà d'une scénographie
moderne, le nouveau Wagner de la Monnaie joue la carte de la fidélité.
Direction musicale et distribution de premier plan.
Avant même d'être un opéra, le
Hollandais volant est un mythe, à telle enseigne qu'on a pris l'habitude de
re-lectures freudiennes, politiques ou autres. La première surprise de la
production de Guy Cassiers - surtout au regard de ses déclarations, parfois
contradictoires, de ces dernières semaines - tient à son caractère extrêmement
fidèle. Fidèle non point dans un respect scrupuleux des didascalies, certes,
mais bien dans la conception des personnages et dans la façon de raconter
l'histoire. C'est là la première vertu d'un spectacle qu'on inscrira dans le
livre d'or des meilleures productions de la Monnaie.
Dans cet esprit, chaque
protagoniste est parfaitement typé, fût-ce au prix d'une légère accentuation de
ses caractéristiques: un Daland simple et gentiment
roué, trop ravi de trouver pour sa fille un bon parti (c'est-à-dire riche), un
Erik un peu gauche, trop rustre et banal sans doute pour séduire Senta, une Senta éprise d'absolu,
amoureuse de l'amour plus encore que d'un homme et un Hollandais taciturne et
mystérieux à souhait. Et s'il ne va pas jusqu'à une direction d'acteurs où
chaque geste fait sens, Cassiers est homme de théâtre assez expérimenté pour
que les chanteurs expriment idéalement les sentiments qui les habitent.
La force du spectacle est
aussi dans sa cohérence, construite autour des décors et vidéos
indissolublement liés de Peter Missotten et des très
beaux éclairages d'Enrico Bagnoli. Dans la cage de
scène nue (avec pour résultat quelques effets surprenants de résonance
acoustique), deux cales de navires en trompe l'oeil, sorte de radars de tôles
cuivrées oxydées et rivetées qui tournent sans fin. L'un plus vaste - le
vaisseau fantôme - et l'autre percé de hublots - le navire de Daland. Et pour Senta, un tableau
de toile blanche percé d'une porte, comme une plaque de glace qui fond ou se
corrode peu à peu pour se faire cuivre elle aussi.
Images préfilmées
Y répondent quelques images préfilmées, vues de mer ou de corps noyés, mais aussi des
détails captés en direct et reproduits en agrandissements. Pas de portrait du
Hollandais, mais son visage noyé qui occupe tout le
fond de la scène. Certes, on pourra gloser sur l'opportunité de certains
mouvements des choeurs, depuis ces corps qui se tortillent comme des lombrics
coupés en deux pendant l'ouverture jusqu'au twist ralenti du choeur ouvrant le
troisième acte, en passant par ces manches de trop grands pulls qui viennent
frapper bruyamment le sol ou ces jeux de mains artistiquement réglés dans un
rai de lumière. L'idée est celle de vagues humaines dont s'évaderaient Senta et le Hollandais, assez convaincante hormis dans la
scène finale où les choeurs tournent en rond comme si Cassiers ne savait plus
qu'en faire. Et le problème, si problème il y a, vient moins de la conception
scénique - le recours à la danse (deux chorégraphes sont intervenus) n'est pas
une hérésie dans des choeurs dont on veut souligner la dimension folklorique -
que de la difficulté qu'éprouvent certains choristes à exécuter avec la grâce
et l'aisance requises les mouvements demandés. Pour le reste, bien préparés par
Piers Maxim, ils chantent avec une cohésion presque
sans faille, et sans doute est-ce après tout leur fonction première.
Urgence constante
C'est que le bonheur est aussi
musical. Kazushi Ono signe
une direction intense et hallucinée: ouverture vigoureuse et contrastée,
urgence dramatique constante, capacité de passer d'un même élan de la dimension
populaire de l'oeuvre à son versant métaphysique, le tout servi par un
orchestre sonore et soudé, avec seulement quelques petites faiblesses du côté
de certains vents. Le plateau, lui, est de premier plan: la Senta
très claire et très lyrique de Anja Kampe, projection somptueuse et aigu presque impeccable, le
Hollandais harmonieux d'Egils Silins,
un peu court dans le grave au début mais splendide ensuite, le Daland à la diction parfaite d'Alfred Reiter,
voix égale dans tous les registres et legato superbe, ou l'Erik élégant de Torsten Kerl, même si la voix est
légèrement voilée. Et si la Mary fatiguée de Jacqueline Van Quaille
déçoit, le Pilote de Jörg Schneider est superbe.
La Monnaie, jusqu'au 31
décembre. Webhttp://www.lamonnaie.be © La Libre Belgique 2005
Presse sur Phèdre: https://www.khroma.eu/PhedrePresse.htm
Khroma
Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli
12, impasse des combattants, B-1081 Bruxelles Belgique
ebagnoli@khroma.eu,
marianne@khroma.eu
https://www.khroma.eu